dimanche 27 novembre 2016

La jeunesse en perdition Feat. Mamie Starbucks

Chère madame rencontrée au Starbucks,

Je vous ai d'abord beaucoup appréciée. Il n'y avait plus de places et vous avez gentiment proposé de me laisser m'asseoir à votre table. J'étais par contre venu pour bosser sur un scénario, me poser tranquilou Balou avec un chocolat chaud hors de prix et être dans ma bulle.

Mais il a fallu que vous commenciez à me parler. Et j'ai fait l'erreur de répondre "enseignant" quand vous m'avez demandé ce que je fais dans la vie. C'est comme ça qu'on ouvre la boite de Pandore.

"Ah... vous n'avez pas la côte en ce moment."

"Ah bon ? Comment ça ?"

"Et bien là je lisais justement un article qui disait que l'éducation nationale n'arrive à rien."

"Vous savez que ça n'est pas vrai, tout de même ?"

"Oui mais bon, vous savez monsieur, j'ai beaucoup voyagé et vécu dans le monde entier, et on a quand même un des pires systèmes éducatifs au monde !"

"Hmm hmm."

"Je le sais bien, ma fille a fait Henry IV et Louis Legrand"

"Oui, qui ne sont pas vraiment représentatifs de l'intégralité des établissements en France, vraiment, vraiment pas."

"On forme les jeunes à être de bons français."

"C'est en partie vrai, mais c'est exactement ce contre quoi lutte notre ministre de l'éducation. Qu'elle le fasse bien ou mal, là n'est pas la question : la démarche est exactement celle-ci. On tente d'intégrer tout le monde et de prendre en compte la pluralité des cultures que nous avons en face de nous."

"Ah mais votre ministre, elle est quand même très mauvaise..."

"Qu'est-ce que vous en savez ?"

"C'est ce qui se dit."

"Ah. Ok."

Puis j'essaie de me concentrer sur mon carnet, mais non, elle repart à la charge, et s'attaque à la jeunesse.

"Je parlais à un enseignant de lycée l'autre jour, et il me disait qu'ils ont un niveau sixième"

"Et bah il avait tort. Les jeunes sont de plus en plus intelligents, plus en plus cultivés, ils sont meilleurs que nous et c'est tant mieux."

"Vous le pensez vraiment ? Je ne le crois pas. Et les professeurs de maths ! Il n'y a plus un seul bon prof de maths. Moi mon prof de math était excellent. C'était un ancien militaire, et..."

"Oui, alors, j'en connais plein des supers profs de maths, et je vois pas en quoi le fait que cela soit un ancien militaire est un argument pour présenter ses qualités pédagogiques."

Et elle se relance dans la politique, se plaint des candidats actuels. Enfin un terrain d'entente ? Hahahahahaha, que je fus naïf.

"Mais ça, c'est bien notre veine, c'est la faute de la jeunesse. On n'est pas gâté en France, la jeunesse n'est pas dynamique, pas active..."

Là c'est le moment où pour la première fois de ma vie, je me suis énervé sur un.e inconnu.e. Lol.

"Ecoutez, vous avez totalement tort, et je n'ai pas envie de continuer à parler avec vous. Je suis en weekend, je voulais me poser tranquillement et écrire une histoire, pas écouter quelqu'un raconter des conneries. Donc je vous laisse, passez une bonne soirée."

Et je les ai planté là, elle et son Figaro Magazine.

Chère madame, si j'avais eu l'énergie de développer, sachez que la jeunesse française est belle. Elle est dans la rue, elle est ouverte d'esprit, elle est cultivée, et chaque jour elle se bat pour nous sauver de toutes les conneries que votre génération a pu faire. La jeunesse française vous emmerde, vous qui supportez très certainement Fillon ou Macron.

Oui, vous remarquez que je n'ai aucune idée de qui vous soutenez politiquement parlant, mais je me suis permis de l'inventer. C'est comme ça que vous vous êtes inventés une jeunesse apathique flegmatique dans votre tête. C'est assez efficace, ça évite de comprendre l'autre et de se remettre en question.

Vous savez qui est très fort pour comprendre l'autre et se remettre en question ? La jeunesse française.

Tain.

mercredi 9 novembre 2016

Pourquoi c'est la merde chanmé (et où trouver de l'espoir fissa)

L'espèce humaine a un rapport totalement paradoxal à l'Histoire : tout en la voulant objective car somme de tous les vécus qui furent, que nous sommes et qui seront, elle n'est en vérité que subjectivité bien déguisée.

Les gentils et les méchants

En fait, c'est un peu absurde à dire, ça fait un peu phrase bateau qui navigue à la one again, mais les humains ont toujours pensé l'Histoire comme histoire. Oui, le choix de la majuscule a une importance. Sans elle, nous somme dans le film Disney, dans le conte, dans le livre pour enfants, dans le blockbuster hollywoodien. C'est un fait, nous recherchons des héros et des méchants, des débuts difficiles et des fins triomphantes. Cela s'appelle simplifier le monde, et nous n'y pouvons rien : se rendre compte de la complexité de ce dernier, de toutes ses fissures, c'est un effort. Il faut se faire violence, parce que naturellement le cerveau veut tout mettre dans des cases bien comme il faut. Pour nous protéger, évidemment ; le bougre, il ne veut que notre bien. Notre bien individuel. Seulement voilà... pour le bien de l'humanité toute entière, il faut lui éclater la face, à notre cerveau. Briser le miroir en un millier de fragments qui font tous autant partie intégrante de la réflexion.

Les humains aiment les histoires. Le héros fait face à danger, et alors que tout semble perdu, il trouve la force de renverser la situation, et nous sommes tous rassurés. Frodon détruit l'Anneau, Aragorn rassemble les hommes, la Terre du Milieu est sauvée. Nous dormons tranquille, le sourire aux lèvres : le mal existe, mais uniquement pour que le bien en vienne à bout.

Donald Trump : Notre méchant

Pour ceux elles qui lisent cela, très probablement, Donald Trump est le méchant. Et quel méchant il fait ! J'en vois sur Twitter qui s'amusent à parler du prochain G7 avec Trump, Poutine, Sauron et Voldemort... mais ça n'est pas drôle. Parce que Trump n'est pas loin d'un Sauron ou d'un Voldemort. Oui, je pèse mes mots, et mes biceps se portent très bien merci.

Pour les informés, Donald Trump est tellement démoniaque qu'un producteur rirait au nez du scénariste qui lui présenterait un tel méchant. Sans faire la liste complète, nous avons affaire à un homme accusé d'agressions sexuelles de tous les côtés, qui a insulté toutes les minorités américaines, les communautés LGBTQ, qui a suggéré plus d'une fois qu'assassiner son adversaire ne serait pas une si mauvaise chose. On parle d'un type qui a fait faillite six fois dans sa carrière et est TOUJOURS LA parce que la Justice t'emmerde mon gars, tu peux fumer un joint et aller en taule pour six ans mais tu peux être le plus grand méchant que le monde occidental moderne ait connu à cette échelle, et devenir président de la seconde plus grande puissance mondiale. Oui, j'ai dit seconde, parce que pendant qu'on voit tous voir les films Marvel et qu'on s'émerveille face à la grandeur de l'Amérique, la Chine a botté les fesses de tout le monde dans tous les domaines. Enfin, sauf les droits des femmes et des opprimé.e.s mais ça apparemment on a décidé collectivement que ça ne servait à rien. Trump est un menteur pathologique, un type qui s'est retrouvé à parler de sa bite pendant un débat, à dire qu'il pourrait se taper sa fille, une ordure tellement instable que son staff l'a interdit d'utiliser Twitter sans supervision lors des jours à venir. Et si ça vous révolte que l'on puisse confier les clés d'un pays aussi capital (lol) que les Etats-Unis mais que l'on ne peut pas lui faire confiance pour utiliser Twitter correctement, félicitations, vous êtes dans le camps des gentils.

Et attention. Il n'est pas là question de la politique proposée par Trump, ou de celle proposée par Clinton. Je n'ai pas l'intention de parler de ça, et dire qu'ils sont tous deux aussi mauvais n'est pas seulement faux, c'est totalement stupide. Parce qu'on ne vote pas pour un programme, on vote pour quelqu'un. Franchement, n'allons pas nous voir plus beaux.elles que nous le sommes. On ne vote pas pour les idées, on vote pour leur incarnation. Et Trump, au delà de ses convictions politiques sur lesquels on peut être d'accord ou pas, est une affreuse merde. Il n'est pas concevable d'imaginer qu'un homme puisse accepter au poste le plus important du pays quand il représente une menace directe pour tous les citoyens qui ne sont ni blancs ni des hommes. Elire Trump revient à dire à toutes les minorités des Etats-Unis : "On préfère qu'il soit là plutôt que vous". C'est l'enfer. Le Mordor. Mais dans le Seigneur des Anneaux, à la fin la tour de Sauron s'effondre...

La défaite des gentils

Seulement voilà, le camp des gentils est actuellement en crise totale. Parce que contre toute attente, on a perdu. Et je ne peux pas me permettre d'être cynique ici ; la défaite est gigantesque. Nos pairs ont choisi de préférer un véritable démon à une femme. Pourquoi ? Comment peut-on faire un choix pareil ?

C'est un déchirement, une rupture gigantesque au sein de notre compréhension du monde... mais surtout dans celui des enfants. Les futures générations, celles qui ne voteraient pas Trump (cf. les statistiques qui montrent que ceux qui votent le moins Trump sont les jeunes, les racisé.e.s et les éduqué.e.s), ce sont eux qui sont les plus déboussolés dans l'histoire.

Parce que si le gentil gagne dans les histoires que l'on raconte, c'est précisément parce qu'il est bon, et que son adversaire ne l'est pas. Comment réussir à inculquer des valeurs aux générations futures avec un tel exemple ?

"Papa, pourquoi est-ce que je peux pas tirer les cheveux de mes camarades à l'école ?"
"Parce que c'est mal. Tu te dois d'être bon pour réussir."
"Ouais mais Trump il tire les cheveux des filles et maintenant il est président."

Franchement, je ne vois pas comment expliquer ça rationnellement à un enfant. Qui a besoin de la stabilité d'une histoire manichéenne, avant de se plonger dans les complexités de la réalité. C'est la mort de toute notion de morale dans la société occidentale, l'absence totale de toute forme de justice sociale. Le néant. Et vous connaissez probablement déjà bien ce sentiment, si je reviens encore vers les histoires... parce que vous avez vu Game of Thrones. Vous avez vu les Starks être les gentils, avoir raison. Vous avez vu Joffrey et les Lannister être monstrueux. Et nous avons tous vu les Starks se faire massacrer. Et ça n'est pas drôle, ni amusant. Etrangement, dans Game of Thrones, on finit par pardonner, et on y croit à nouveau. On se dit que la prochaine fois, les gentils vont gagner, parce que là quand même, il est temps.

Sauf que pour nous c'est la vraie vie, et là c'est quatre ans que l'on va passer à perdre. Et il paraît impossible que les gentils gagnent, et ce pour deux raisons.

1. Parce que c'est bien plus la merde qu'on pense

Déjà, n'oubliez pas qu'en même temps des présidentielles, les sénateurs ont été réélus. Ce qui veut dire qu'actuellement, le président est républicain, et le congrès aussi. Quant à la Cour Suprême, elle s'apprête à la devenir aussi, puisque Trump va nommer au moins deux, potentiellement quatre juge lors de sa présidence. Ce qui veut dire que les TROIS POUVOIR s'apprêtent à être entièrement d'un seul côté. La dernière fois que c'est arrivé, c'était en 1928.

1928 rappellera au passionnés d'Histoire (avec un H cette fois) que c'est à peu près ce moment-là que les fascismes nationalistes ont battu de l'aile avant de chier à la gueule de tout le monde. C'est l'époque où les réactionnaires ont tranquilou bilou plongé le monde dans un enfer qui définit encore tristement celui dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Et ce que je vais dire, je ne le vois pas assez : nous sommes en train de vivre exactement la même chose. Les violences policières, chez nous ou ailleurs, les attaques directes contre les minorités par l'Etat ou les terroristes, la surveillance totale et la destruction de la vie privée, la glorification de l'individualisme, la haine de son prochain pour raisons politiques, les mouvements du type la Manif pour Tous, les Survivants, le succès de Cyril Hanouna et autres conneries perchées plumées, ce ne sont pas des entités séparées. C'est un tout cohérent qui annonce le pire, et il faut s'y préparer pour y faire face et empêcher à tout prix qu'on se foute tous sur la tronche avec des pelles rouillées.

Trump est le deuxième dirigeant terrifiant à être élu en 2016 suite à celui des Philippines. Si vous trouvez qu'un chef approuvé par le KKK fait peur, je vous recommande d'aller voir ce que fait l'autre... mais préparez-vous quelques vidéos de chiens ou chats mignons avant. Vous en aurez besoin.

Très bientôt, ce sera notre tour, ici en France. En mai, nous aurons probablement le choix entre une droite raciste et sexiste, qui saura diviser pour mieux régner, et une autre droite qui fera passer la première pour des militants baba cool.

2. Parce qu'en fait nous ne sommes pas les gentils

Bon ça c'est le twist que je prépare depuis le début de cet article. Si tu l'as vu venir, tu peux te la péter un peu, mais pas trop, c'était quand même évident.

Oui, nous considérer les gentils et réagir violemment face à nos ennemis, c'est exactement ce qui va nous projeter en plein d'une guerre civile. Et là encore, je pèse mes mots, et je les ai même fait pesé par des historiens spécialistes du sujet. Allez-y, googlez donc pour voir, vous verrez que je ne suis pas en train de perdre la raison ou de faire une hyperbole. J'emmerde les hyperboles, j'utilise des mots forts pour une raison : les Etats-Unis sont au bord de la guerre civile. Et nous aussi, et c'est tout à fait évident pour toutes les personnes ayant participé aux manifestations contre la Loi Travail ; le pays est divisé, les factions se haïssent et il suffit d'une étincelle pour faire un feu d'artifice. Mais genre, avec du sang.

Nous ne sommes pas les gentils, parce qu'il n'y a pas de méchants. Parce que les personnes qui ont voté pour Trump et qui voteront pour Lepen ont des raisons. Certes, leurs raisons sont mauvaises, ces personnes sont mal informées, mal éduquées, bref on a envie de les baffer quoi... mais leurs raisons existent. Trump a remporté la victoire en s'adressant à tous ceux que la gauche américaine a délaissé : les classes moyennes et ouvrières blanches de la campagne, qui n'ont aucune existence dans le spectre politique. Parce que oui, quand Clinton présente son plan pour développer des emplois dans le solaire et autres énergies renouvelables, toi en tant que jeune éclairé tu applaudis. Mais l'ouvrier qui n'a plus de travail stable depuis que la mine a fermé... et bah lui il t'emmerde. Lui, il en a marre d'entendre parler des problèmes des LGBTQ, des noirs et des autres, parce que même s'il n'en a jamais croisé ou presque dans sa vie (ou du moins sans le savoir pour LGBTQ), et bah on ne parle que d'eux. Et lui, il n'existe plus. Pour lui... c'est Trump le héros. Et il n'entend que ce qu'il a besoin d'entendre. Et il ne veut surtout pas qu'une femme lui dise quoi faire, parce que quand même, ignorer la dimension sexiste ahurissante de cette élection, se serait criminel.

Parce que le droit de vote est un droit, et non pas un devoir. Parce que chaque vote est égal, même dans des régions où 90% des votants sont analphabètes et pensent que c'est grave cool d'avoir un drapeau de confédéré, alors que y a le mot con dedans. Alors ouais, ils sont grave contents d'avoir gagné, ils sont fiers. Et nous, on les regarde comme si c'était les orques de Saroumane... parce que c'est facile. Au moins à les démoniser, on prend un peu de plaisir et puis on en a franchement besoin, pour se remettre d'aplomb. 

Pas de gentils, pas de méchants : guerre civile

C'est souvent à posteriori qu'on remarque que la pop culture s'inscrit étonnamment bien dans son temps. Je l'avais un peu dit à l'époque, mais il est plus que logique que Civil War et Batman V Superman soient sortis en 2016. Parce que c'est là où nous en sommes, et c'est un effort de nous montrer que l'ennemi n'est pas si différent de nous.

Et c'est absolument nécessaire, parce que là, les Etats-Unis sont totalement paralysés. Entre les vainqueurs et les vaincus, il n'y a pas un pays uni, mais une fracture gigantesque et je ne vois absolument pas comment ils vont réussir à la réparer. Dans BvS, ils se font attaquer par un monstre affreux venu de l'espace et après ils s'allient... si on pouvait ne pas en arriver là pour cohabiter, ce serait bien. Les deux camps actuellement ont peur de l'autre. Se détestent. Et à raison, très honnêtement.

Mais c'est le seul moyen de s'en sortir. Le seul moyen de nous sauver, de sortir du pétrin le nez cassé et les côtes fêlées mais victorieux, c'est de tendre la main vers l'autre, et d'aller vers la compassion. De comprendre pourquoi nous sommes à ce point brisés, et d'essayer, ensemble, de réparer.

Et que tels messages soient transmis dans des putains de films de super-héros, c'est soit sublime soit terrifiant. On va dire les deux, puisque j'essaie de dépasser ici les limites du manichéisme. 

L'espoir fait vivre

Le seul moyen de s'en sortir, c'est d'agir. Je vais être cassant un instant avec ceux de mon propre camp, mais le cynisme, c'est de la merde. Cela ne sert à rien, c'est un superbe bouclier pour ne pas se faire trop mal... sauf que là, on n'utilise pas le bouclier. On prend Anduril, l'épée d'Aragorn, et on charge.

Parce que ce sont les actifs qui vont changer le monde. Ceux qui regardent et se plaignent ensuite n'ont même pas leur mot à dire : que vous soyez dans un camp ou dans l'autre, il faut vous battre. C'est maintenant ou jamais de faire entendre sa voix, nos voix, tous ensemble, et de montrer que l'on peut s'en sortir.

Je vous rappelle brièvement que la planète est en train de mourir, que c'est notre faute, et que le plus gros coupable du monde vient d'élire un type qui pense que le changement climatique est existant que le nez de Voldemort. Cela veut dire que l'on vient de perdre quatre ans. Les perdre ? Pas forcément. Pas si on se bat.

Parce qu'il y a encore de l'espoir. Parce que les êtres humains adorent les histoires, et que le gentil gagne toujours à la fin. Et que l'être humain est capable d'accomplir des miracles, et parmi ses miracles, il y a le happy end. Après avoir compris que le monde est trop compliqué pour les histoires, il ne tient qu'à nous de le forcer à aller mieux. Ce sont nos mains et nos mots qui le guérirons.

Je vous laisse avec une vidéo qui résumera exactement où je voulais terminer ce texte : avec une histoire. Avec Sam.


Battez vous avec moi, je vous en supplie.


dimanche 15 mai 2016

Quelques marches au marché du film - Festival de Cannes 2016

Ce texte est un essai probablement très cliché écrit d'une traite, sans aucune tentative de sublimer. Donc cela risque d'être assez indigeste et parfois un peu stupide. Au moins vous êtes prévenus. Pour un compte-rendu sur Cannes, passez directement à la section « Après Cannes ». Parce que ça commence par trois pages de description de paysage. Ouais, ce texte c'est comme un roman de James Fenimore Cooper mais sans les Indiens et sans le style.

AVANT CANNES

Serré comme une sardine dans un train bondé, je suis en route pour traverser presque tout le pays en cinq heures. Heureusement, ma voisine est une immense fenêtre qui me permet de voir les paysages s'affronter. Beaucoup de nuages, mais le soleil ajoute une petite couche de peinture ocre dans un pan de ciel, jusqu'au sol : une étendue de jaune au sein d'un brouillage, il y a là une sorte de vision. Littéralement un silver lining.

Qu'est-ce qu'il y a comme vide autour d'un train.

Soudain on passe à côté d'une colline avec un château ! Et en bas, un autre château derrière une rivière. Je me demande ce que ça pouvait être comme ville, mais étant donné que je ne connais rien à la topographie ou géographie de mon pays, on n'a qu'à inventer. C'était donc le château de Bourg-Caduque, célèbre pour ses tournois au XIIIème siècle puisqu'il a popularisé les duels de singe. Le seigneur était un grand voyageur et aimait à rapporter faune et flore exotiques pour impressionner ses vassaux.

Le soleil paraît bas, mais c'est juste que le ciel est plus grand par ici. D'ailleurs il se vexe et s'en va. Andouille, reviens. C'est nul quand tu te casses. Enfin non, pas toujours, mais là il est même pas 18h quoi fais pas ton relou.

Puis on retourne dans le vide. Au milieu des immenses champs jaunes et vert, une ferme. Seule. Qu'est-ce que cela doit être bien d'être loin du bruit du monde comme ça. Ou alors super chiant. Trois heures de cheval pour aller jusqu'au MacDo, franchement non merci.

Vu de loin. Les nuages de pluie ressemblent vraiment à un brouillard. J'ai sommeil. Dormons. Oui vous aussi ! Jvais pas aller me coucher tout seul, vous venez avec moi. J'ai un pyjama en rab allez hop.

Maintenant c'est un vrai brouillard qui recouvre les arbres, plus de nuages pluvieux trompeurs. On se croirait en plein Sacré Graal.

Encore un mystère. Au milieu d'un champ, cinq arbres longilignes et dégingandés alignés, avec entre chacun d'entre eux, un espèce de buisson boulimique, des Obélix allongés. Le tout a un côté mystique ; peut-être que je viens de passer devant un Stonehenge de la campagne française, un domaine des druides, parce que fuck deux mille ans d'histoire la topographie reste la même, jsuis en mode négationniste du temps moi.

Un éclair ! Je viens de voir un éclair. Ou alors je suis trop impatient de me faire matraquer par des photographes qui pensent voir une star sur le tapis et me flashent à tout bout de champ. Sauf que cela n'arrivera pas donc, non, probablement c'est un éclair.

Merde, j'ouvre les yeux et déjà la végétation a changé. J'ai encore raté un épisode. Les vaches et moutons dans les champs sont si immobiles qu'on semblerait être dans un décor miniature. Je ne cesse de penser qu'il faut que j'arrête d'écrire sur ces paysages mais peu de choses m'inspirent plus que les morceaux de campagne qui voyagent le long des vitres de train. Ici, un nuage minuscule se perd dans une vallée obscure. Là, les courbes des collines et le blanc et le bleu du ciel sont tellement tridimensionnels que ça en crève les yeux, on a envie de les attraper et les tourner dans tous les sens pour en explorer toutes les facettes comme si c'était une map de jeu vidéo.

Heureusement, la pluie débarque et je ne vois plus rien. Fin d'obsession.

Je viens de voir un château gigantesque. En haut d'une falaise. Puis un espèce de grand pont romain là, comme à Cachan. Un aqueduc ? Je ne sais pas. Je n'ai aucune idée d'où je me trouve. Je sais que j'abuse avec les métaphores jeu vidéo, mais c'est vraiment le sentiment que j'ai : c'est l'impression de traverser un décor plein de merveilles que je ne suis pas sensé pouvoir découvrir. Des façades, rien de plus ; mais par essence, des mystères. J'aime le train.

QUOI ?? On était tranquille dans un tunnel et maintenant je vois LA MER ?? Mais mais mais ça fait trois heures que je suis parti de la Gare de Lyon en plein Paris. Je devrais jouer un type du 19ème qui voyage dans le futur et est ébahi par la technologie banale comme le TGV, je n'aurai pas besoin de me forcer pour le rôle.

Je suis dans une ville qui ne ressemble à rien, des bâtiments dans tous les sens sans aucune logique, et j'ai l'impression que ça pue même dans le train. Je crois que je suis à Marseille. C'est la seule explication. Oui, je crois que là-haut, c'est la cathédrale ? J'y suis allé il y a moins d'un an et je ne me souviens même pas si c'est une cathédrale où une église ou un autre truc. En même temps je regarde un film, et un type vient de dire que MLK day est le meilleur jour férié pour rompre. Je propose un débat sur le sujet.

C'est stupide !
Mais c'est drôle.

Ah bah jsuis tout seul. Le débat est clos.

Par contre, ce film est extrêmement drôle. Dommage qu'il soit de la pire catégorie des films romantiques : ceux qui prétendent déconstruire le classicisme. Oui, ceux qui assument totalement leur côté binaire, leur marions-nous et ayons des enfants et abandonnons nos vies d'antan, au moins ont le mérite d'être honnête. Les films comme celui que je regarde sont menteurs, faux, perfides. Ils attirent en présentant une alternative : des célibataires qui veulent le rester et le célébrer, des adultes qui ne veulent pas d'enfants, des filles et mecs qui couchent à droite à gauche, puis devant et en bas et appuie sur B, A, X et non on avait dit stop les métaphores jeu vidéo. Bref, ces films sont des salauds car ils finissent toujours par trahir le spectateur et tout ramener à une fin binaire. Des couples, des enfants, et à mort la différence. C'est ignoble. Et vraiment, celui que je regarde est extrêmement drôle et bien réalisé, original. Mais son contenu me fait gerber… Ce n'est pas Célibataire : Mode D'emploi, c'est Célibataire : Je couche avec tout le monde jusqu'à trouver le bon et l'épouser. Ouais, contresens total. Je n'y peux rien, c'est pourtant le cas.

« You wear a scarf on the outside of your coat, that serves no purpose » en effet, mais je le fais aussi ça . C'est pour des raisons esthétiques, cela rend mon manteau moins sombre. Et ouais. Mais bon, là je réponds à un personnage de film qui ne s'adressait même pas à moi, donc je pense qu'on peut en conclure que ce trajet se fait long.

SERIEUSEMENT FILM. Comment oses-tu t'appeler How To Be Single? Ton personnage principal passe la quasi totalité du film en couple. Gmrlblb. Normativité, je te vomis. Cinéma mensonger, va te faire frapper par un caribou mutant habillé en Robocop.

Ces films sont l'équivalent des films de gangster où le héros meurt à la fin. Comme dans les années cinquante, vous savez ? Comme Humphrey Beau gars. On l'apprécie et on jouit de sa malhonnêteté de hors la loi mais quand même à la fin il est obligé de mourir, parce que la vie de criminel mérite d'être punie. Du coup, ces films romantiques faux-cul font de tous ceux qui ne cherchent pas à atteindre un idéal binaire des criminels. Mais bon. Au moins tous ceux qui refusent ces codes ou ne parviennent pas à l'atteindre peuvent être rassurés : ils et elles sont tout aussi cool qu'Humphrey Bogart.

Je crois que j'en veux autant à ce film parce qu'à côté de ça, il est tellement drôle putain.
Apparemment, si un homme et une femme boivent plus de onze verres à eux deux, ils doivent coucher ensemble. Si cette règle était un outil mathématique, j'aurai zéro à tout mes devoirs de géométrie. Parce que je serai incapable de tracer une droite. Parce que cette règle est bidon. Donc si un mec se bourre la gueule en face d'une fille qui ne boit rien, il peut la lever ? C'est aussi insensé que l'expression « lever » est moche.

Il fait presque nuit, mais je viens de voir une île dans la mer. Une toute petite. J'aimerais bien avoir une île. Quelqu'un veut bien m'acheter une île ?

Les routes ici sont superbes. Les petits quartiers sont étranges, tout est… sinueux. Exotique. C'est absurde, mais c'est que je connais vraiment mal cette partie du pays. C'est comme si soudainement, l'espace prenait une forme différente, derrière l'écran de ma fenêtre de train. Toujours impossible à atteindre. Alors on dévore des yeux, tant qu'il reste encore un peu de visibilité dans les nuances de bleu et de gris qui parcourent les maisons, les arbres, le ciel, les voitures.

Ce film m'introduit au concept de « dicksand ». Littéralement comme des sables mouvant, sauf que c'est un pénis. C'est genre l'ex que l'on n'arrive pas à laisser partir et qui continue à piéger dans ses parties mouvantes. C'est tellement dégueulasse comme image, que l'on peut sans avoir vu le film deviner qui prononce cette horreur.

Oui, gagné, Rebel Wilson.

Ha ! Comment le film essaie de se rattraper sur la fin. En aliénant toutes les personnes qui ne sont pas en couple 90% de leur vie d'adulte. C'est bien tenté, mais légèrement pathétique. Je refuse cette volonté de vouloir devenir universel, de toucher tout le monde. Film, tu aurais pu fonctionner si tu n'avais pas tenté de définir le monde occidental tout entier. Film, tu as raté. Dommage, je t'aimais beaucoup.

La nuit est vraiment tombée maintenant, mais elle l'a fait sans bruit. Il reste une heure avant mon arrivée à Cannes. Je vais l'imiter, et le faire sans bruit.

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APRES CANNES

Ok, le titre c'est après Cannes, mais je ne vais pas recommencer à parler du paysage. Que l'on soit clairs, j'en meurs d'envie mais je suis à peu près persuadé que même les trois personnes à avoir lu (coucou!) les trois pages plus haut en ont marre.

Du coup, on remonte le temps et on se remémore chaque petit pas sur les marches du « plus grand festival de cinéma au monde ».


Vendredi :

J'arrive à la gare. A côté de moi dans le train, un type s'est rapidement changé et est désormais en costume, le nœud papillon bien centré. C'est ce qu'on appelle être paré… moi je porte une veste en jean et un pantalon orange, et je me sens soudain pas forcément à ma place.

C. me récupère à la gare, ce qui est presque aussi gentil que de m'héberger pour le week-end ET que de m'avoir obtenu une accréditation marché du film. On se pose chez elle avec une de ses amies/collègues qui travaille pour le marché du film. On parle cinéma, et déjà un des thèmes majeurs du festival en ressort : d'un côté le romantisme, de l'autre le ras-le-bol. On en reparlera. D'autres amis arrivent, dont R. que C. me présente pour la quatrième fois. On boit, ils parlent, C. et moi luttons pour rester éveillé. Puis, au lit. Oui rien ne s'est passé pour l'instant mais je suis arrivé tard !

Samedi :

Après que F arrive à son tour et commence sa métamorphose pour se camoufler au sein du festival (ce fut réussi, je ne compte pas les personnes qui l'ont prise pour une actrice), je pars profiter de mon badge pour explorer. Je m'explique : grâce à mon accréditation marché, j'ai accès à toute la zone du festival, y compris la zone des producteurs (rassemblés par pays, régions ou métiers) qui achètent des films, et celle des exposants qui sont là pour vendre leurs films.



Je pars, et je découvre le Palais pour la première fois. Il n'y a pas trop de monde le matin c'est agréable… mais déjà, les optimistes encerclent les lieux et brandissent leurs pancartes. Il est neuf heures du matin mais une partie est déjà en tenue de soirée ; pour paraître plus crédible, ou attirant, sûrement.



Je vais voir les producteurs. Je rentre dans plusieurs tentes. C'est superbe : elles sont disposées le long de la mer. Derrière les hôtesses, assis à de belles tables recouvertes de belles nappes, des producteurs et réalisateurs bien vêtus et productrices et réalisatrices bien vêtues discutent, tandis que derrière eux la Méditerranée prend le soleil. Je rentre dans le pavillon du Canada. Bonjour, on peut vous renseigner ? Voulez-vous les cartes de nos producteurs ? Hmmm oui je veux bien, mais j'ai rien à leur dire, rien à leur proposer. Un peu plus loin, je me fais aborder par un type qui représente le centre filmique de Saint-Pétersbourg. Pas celui en Russie, non non... en Floride. Je déconne pas. Le type m'accueille et me fait tout un speech, il m'explique comment vendre un projet à Cannes, quels sont les meilleurs jours, les meilleures fêtes, quel type de projet on peut présenter (un script par exemple ne passera jamais. Dommage, j'en ai trois dans mon sac, mais bon, il faut bien que je respecte mon statut d'amateur en me comportant comme un vrai amateur), et surtout, il m'indique le stand des pays Scandinaves. Pas pour leur cinéma, non, pour leurs gaufres gratuites. Enfin, il me fait parler de mes projets et me donne la carte de son festival. Je lui donne la mienne, sachant très clairement qu'elle va passer à la poubelle, mais je m'en fiche. Je joue le jeu. Et je vois bien que ce monde n'est pas le mien… ce n'est pas un endroit où je ressens un amour du cinéma. Je ne suis pas très bon pour me faire des contacts, avoir un réseau cinéma, lancer mes projets de manière professionnelle. Parce que les pros me fatiguent beaucoup, ils ne me donnent pas l'impression d'aimer le cinéma. Ils ressemblent à des hommes et femmes en cartons, qui seraient les façades de quelque chose qu'on appelle à juste titre « une industrie ». Bien sûr, je sais qu'une grande partie du problème vient de moi ; il s'agit d'être capable d'aller vers les gens et de passer à travers cette couche de boulot boulot boulot. Parce que s'ils sont là, c'est qu'ils y tiennent au cinéma. Peut-être pas de la même manière, mais ils y tiennent. Et moi, je suis trop romantique pour réussir à fonctionner dans ce milieu. C'est pour ça qu'il faut bien s'entourer. Avoir des amis à qui on tient, que l'on porte dans son coeur en toutes circonstances, et qui sont prêts à aider. Des gens comme A, comme M, comme C. Qui sont capables de tendre la main pour aider les bras cassés comme moi. Cette matinée, en tout cas, aura été plus qu'édifiante.



La balade est terminée, et je retourne au palais retrouver A. et son père. En chemin, je passe devant les yachts des producteurs. Devant celui d'ARTE, un type s'engueule avec la réception parce qu'il n'est pas sur la liste de je ne sais quelle soirée. Je rejoins enfin A. et son père, qui ont décidé de me faire passer un Cannes de rêve où tout m'est offert sur un plateau. Ainsi je récupère deux tickets pour deux séances de la sélection officielle, The Big Friendly Giant (hors compétition), et Toni Erdmann (qui va remporter la compétition). Après des fouilles intensives, je me retrouve en haut des marches de Cannes. Oui, déjà en haut, je ne me suis même pas rendu compte que je les avais montées. C'est petit en fait. Au boulot chaque jour je dois bien me faire une douzaine de Cannes. Mais cela reste toutefois impressionnant, pour peu que l'on soit romantique et accorde une importance à la symbolique de cet escalier. Heureusement, je le suis.



La salle est immense, et plutôt belle. Le public est très international et j'entends de l'anglais à tous les parfums. Le film, le nouveau Spielberg, est bien. Trop lent au démarrage, trop convenu sans doute, mais extrêmement difficile à juger sans se mettre dans la tête d'un enfant. Heureusement, la deuxième partie est bien meilleure et toute la salle (ou presque, et je ne compte pas les salauds qui osent partir avant la fin) se met à rire, puis s'émeut. Mark Rylance, même avec sa tronche de géant numérique, a toujours des yeux bouleversants. La nouvelle égérie Spielberg – adoubée par Tom Hanks, autre égérie – est merveilleuse.



On mange rapidement, recroise R, et F, qui se baladent, et on revient au Palais pour une autre séance. Cette fois, c'est une « vraie » séance du Cannes festif et populaire. Cette fois l'équipe du film est là dans la salle ; enfin, elles commencent par les marches bien sûr. Tout ça, je ne l'avais pas vraiment compris. Puis, lorsque que je finis par intégrer cette information très excitante (que voulez-vu, j'aime les stars de cinéma. Même quand le film est allemand et peuplé d'inconnues au blitzkrieg, ce sont des stars.), je suis encore un peu à la masse, puisque je ne pense pas au jury. Soudain je m'en souviens, je tourne la tête et j'aperçois le président. George Miller. Non loin de lui, Donald Sutherland, Kirsten « MJ Watson » Dunst et Vanessa Paradis, mais qu'est-ce qu'on en a à battre. George Miller, le réalisateur du meilleur film de tous les temps est dans la salle avec moi. Il va applaudir, rire, ou pleurer, ou s'ennuyer en même temps que moi dans la même salle. Je l'avoue, je lance des regards en sa direction régulièrement durant la projection. J'ai peur qu'il s'en aille, qu'il m'abandonne. Mais non, le bougre reste pendant les trois heures, et il reste même pendant le générique. Alors que 1. on ne rallume pas la lumière pendant le générique à Cannes (du respect pour les techniciens!) et 2. Le générique est en allemand, donc le commun des mortels n'y pige rien. C'est drôle, je pense que ma dernière remarque a une connotation nazi sous sa formulation.

Le film, Toni Artmann, bouleverse toute la salle. Ce n'est pas une comédie, mais on finit à en rire aux larmes. Je vous jure. J'entendais les larmes de mes voisins couler, et les côtes se fêler. Je vais faire une critique dessus sur mon blog habituel, mais j'ai du mal à savoir comment en parler. Une fois le film terminé, nous restons à applaudir l'équipe, longtemps. Je crois que c'est une tradition cannoise, et que le film qui est applaudi le plus longtemps est favori selon certains journaux, mais on s'en fout. On applaudit et je souhaite que jamais cela ne s'arrête ; le bonheur dans les yeux de la réalisatrice, des comédiennes et du comédien principal est communicatif. Je me demande ce que cela fait d'être dans une salle, et d'écouter les réactions du public face aux actions de son propre corps… Mais on y reviendra.

Je sors bouleversé. Dehors, il a plu mais l'orage est passé. Je préfère croire que ce sont nos larmes qui ont inondé la croisette. On part prendre un thé, je remercie A. et son père une millième fois, ce qui ne me semble toujours pas être suffisant.



Puis je retrouve F. pour la soirée, qui est des plus agréables. Nous discutons du festival, de l'amitié, de l'amour et du cinéma le long de la croisette. Le soleil part se coucher vers le Vieux Cannes, et nous éclaire façon Terrence Malick tout le long du trajet. Sur la plage, des techniciens diplômés en lancer de chaise longue sur sol instable prépare la séance de cinéma sur la plage. Plus haut, les soirées se préparent, notamment celle – très alléchante – du BFG de Spielberg. Disney n'y est pas allé de main morte ; d'ailleurs ils y sont plutôt allés la main morte. Nous passons devant un hôtel qui fait la promotion du prochain film de Star Trek, ce qui nous enchante tous deux. Je demande à F. si l'extraterrestre tout blanc est joué par Idris Elba. Elle me dit que oui, mais qu'il n'est pas blanc mais noir. Quelques blagues s'ensuivent, que j'accepte volontiers, car il est vrai que je ne suis pas malin.



Sur la croisette, je tombe nez à cou (elle est très grande) avec l'actrice principale du film allemand. Je suis beaucoup trop émotif et tente de lui communiquer quelques mots mais aucun ne sort de ma gorge. Au bout du quinzième mot que je sors en mode film muet, je me souviens de comment on respire et je parviens à exprimer tout mon amour pour sa performance dans le film. Nous nous serrons la main et elle me présente à son mari et son fils. Je vois la réalisatrice également, mais je ne parviens pas à trouver le mot juste pour exprimer tout ce que son film m'a fait ressentir. Je tente un merci, ce qui se rapproche sans doute le plus du bon sentiment. Ils rejoignent alors toute l'équipe du film, qui se balade sur la croisette sans que personne ne les importune. Enfin, à part moi. Ce ne sont pas des célébrités mais ce sont les personnes qui m'ont montré le plus beau cinéma durant ce weekend. Les voir ainsi juste après avoir vu le film m'a énormément marqué, et je n'ai pas de honte à admettre à quel point cela m'a rendu heureux.








Nous terminons notre balade par un retour au Palais ; C. est dans la salle pour la séance du BFG avec l'équipe de Spielberg. Ainsi F. et moi nous joignons à toutes les personnes bien habillés qui tentent de vivre le rêve de la célébrité à Cannes et nous observons la descente des marches. Je vois Mark Rylance, Rebecca Hall. Il est loin, mais je vois surtout Spielberg, et je repense au nombre de pages que j'ai tapé sur lui durant mon M2. F. se vante de l'avoir déjà vu avant ; je suis simplement content de le voir. Je profite également de ce moment pour observer les photographes qui viennent flasher les mannequins et autres jolies femmes en tenues chics à la sortie de la salle. Le phénomène est tout bonnement fascinant et un tant soit peu terrifiant. D'abord, il y a les robes et les costumes : beaucoup sont sublimes, très travaillés. Cela tombe bien, les personnes qui les portent sont tout aussi sublimes et travaillés. Les photographes, eux, sont de vrais monstres. Par ici ! Par ici ! Mademoiselle ! Avec monsieur ! Sans monsieur ! S'il vous plait monsieur, sans vous ! Et ils obtiennent leurs photos. A côté, deux femmes photographes – les seules du coin – tentent d'être plus civiles. Tristement, elles obtiennent un résultat plus que mitigé. Je m'amuse à faire des grimaces dans le fond de quelques photos, même si je doute qu'avec la mise au point on ne me verra certainement pas au milieu du flou. Puis je m'enfuis, légèrement dégoûté par le comportement des photographes qui prennent par le bras les femmes qui refusent d'être aveuglés sous les flash. Comment osent-ils toucher des personnes qu'ils ne connaissent pas, et les forcer à faire quelque chose dont elles n'ont clairement pas envie ? Vraiment, ce phénomène me laisse un drôle de goût dans la bouche.

Je reviens vers le tapis rouge du beau monde et nous apercevons Carrie Fisher. A nouveau, un pincement au cœur.

Nous retrouvons C. et rentrons manger à l'appartement, au calme. Puis nous ressortons vers minuit ; C. et F. vont au Carton pour la soirée du film japonais Harmonium, tandis que je rejoins l'équipe du blog Cinématraque, qui vient tout juste d'accepter de me laisser écrire pour eux. Ha, ils sont fous. Les pauvres, je les plains déjà. Tout le monde est très gentil, et extrêmement cultivé ; cela me terrifie quelque peu. Personne n'est d'accord sur le moindre film, ce qui est franchement assez jubilatoire dans le contexte. On finit par se mettre d'accord sur la quasi totalité de la filmographie de Michel Gondry, ce qui est un signe du destin, quand on bosse pour un blog qui s'appelle Cinématraque. Les discussions fusent dans tous les sens sans aucune sorte de cohérence, et j'en retire ce qu'il y a de plus beau : de la passion. Toutes ces personnes en ont à revendre, et c'est beau à entendre. Je suis heureux de les rejoindre ; ils me laissent écrire sur le Spielberg, et sur un autre film dont je parlerais demain.

Dimanche :

Enfin, ce demain là quoi. Parce que j'ai vu ce film le dimanche. Bref.



Après nos fêtes respectives du samedi soir, nous dormons. Peu, mais bien. Je réussis à convaincre F. de m'accompagner au sein du marché du film, et pire, d'aller voir un film qui n'a pas encore été acheté. C'est là ce que je préfère avec cette accréditation marché ; elle permet d'avoir accès aux projections des films en recherche de distributeurs. La plupart semblent être des navets, mais lorsque je regarde la liste des projections de la matinée, je tombe sur un nom familier : Takashi Miike. Le réalisateur japonais excentrique. Son film est adapté d'un manga totalement débile où les Terriens envoient de la mousse sur Mars pour la rendre habitable, sauf qu'ils envoient aussi des cafards et ceux-ci deviennent des mutants surpuissants. Les héros sont des rebuts de la société qui s'injectent les pouvoirs de d'autres insectes pour affronter les cafards mutant. Les cafards métaphoriques contre les cafards humanoïdes, ça c'est de la métaphore stupide comme on les aime. F. souffre durant toute la projection, je jubile. A un moment, on découvre des pyramides sur Mars, je pense que je n'ai pas besoin d'en dire plus pour vous convaincre du niveau de connerie du film. Terraformars que ça s'appelle, et JAMAIS ce nanar ne sera diffusé en France. Merci Takashi Miike, je suis bien heureux de l'avoir vu celui-là.

Bref, comme je suis une personne affreuse, avant d'aller voir Terraformars je traîne F. chez les exposants pour voir tous les studios qui sont là pour vendre des films. Mon but, me faire passer pour un cinéaste intéressés par tous les films du marché qui ont l'air totalement débile. Ce n'était pas très difficile, pour la raison suivante : je suis un cinéaste intéressés par tous les films du marché qui ont l'air totalement débile. Je pioche de la doc ici et là, et je vous mets ici les meilleurs que j'ai pu trouver.








Après cette aventure marché du film, je retrouve C. pour récupérer mes affaires et la remercier encore une fois, et je me rends à la gare, accompagné de F., sans qui je n'aurai jamais trouvé la gare. Quand je vous disais plus tôt que j'étais incapable de me débrouiller seul pour ma carrière de cinéaste ? Et bien c'est pareil pour toute ma vie en fait. Je suis un assisté. Heureusement, mes amies sont d'excellentes assistantes. Cela sonne légèrement sexiste, ce n'est pas voulu mais j'accepte d'ors et déjà les critiques et remarques virulentes.

Et voilà. Cannes, c'est fini pour moi. Un jour et demi, et pas une seule fausse note. Quel beau weekend.

Le Festival de Cannes, quelle conclusion ? Ou de la victoire des romantiques

Et là vous vous dîtes, ce mec est fou. Il va à un festival qui existe depuis environ 70 ans (c'est la 69ème édition mais il me semble qu'une année a sauté à un moment) pendant même pas 48 heures, et il se pense capable d'en déduire quelque chose de profond, pertinent et réfléchi ?

Ce à quoi je vous réponds : Sartre a bien caractérisé l'Amérique entière dans une courte pièce de théâtre, après une visite durant laquelle il n'est pas sorti de l'aéroport. Ce à quoi vous me répondez : mec, tu viens vraiment de te comparer à Sartre, un des écrivains les plus stylés de l'histoire qui gens qui écrivent et qui sont stylés ? Ce à quoi je vous réponds : oui, c'est ce que je fais, même si j'ai conscience de l'écart entre son talent et le mien. Mais ce n'est pas la seule différence ! Par exemple, il est mort, moi non. J'ose penser qu'une différence de talent est moins importante qu'une différence mort/vivant, et même comme ça j'ose me comparer à Sartre mort, moi vivant. Mais et si Sartre était un mort-vivant… non, là je m'égare vraiment beaucoup trop.

Bref, voici ma conclusion : le festival de Cannes, c'est bizarre.

*applaudissements à tout rompre suite à cette déclaration coup de poing*

Merci, mais laissez-moi développer car je suis très sérieux. Cannes est bizarre parce que bien trop polymorphe et protéiforme. Comment peut-on mélanger l'art du cinéma, son industrie, et la culture people au même endroit ? Toute la journée et surtout la nuit, les tenues les plus belles et/ou provocatrices parcourent les rues, certaines pour attirer l'oeil sur les marches et avoir une seconde de gloire sur une chaîne Youtube, certaines pour obtenir une invitation et pouvoir monter les marches ce qui revient donc au même. Souvent, j'avais plus l'impression que les gens portaient des déguisements du Festival de Cannes et non pas de vrais vêtements. A côté de cela, il y a les mannequins qui représentent des marques. Il y a le business du marché du film et tous les désespérés comme moi qui tentent de faire leurs trous dans le monde du cinéma. Il y a la presse people qui est prête à sauter sur le moindre scandale, et la presse cinéma qui est plus mordante que jamais à ce moment de l'année. Il y a les employés, aussi, évidemment. Les films à gros budget comme le Spielberg, et les tout petit films en provenance de la Roumanie ou d'autre pays encore moins attendu. Il y a les fêtes, les séances de minuits, la plage, les voitures sponsorisés, les horribles photographes… c'est le chaos. Un vrai chaos, et cela de quoi dégoûter.

Pour cette raison, les vrais rois de Cannes pour moi, ce sont les passionnés. Les cinéphiles qui n'ont aucune arrière-pensée, qui sont là pour le cinéma et rien d'autre. Ce sont les gens comme A. et son père, qui vont se lever à 6h pendant une semaine et se coucher à 1h du matin et ce sans faire une seule fête. Ils font la queue pour pouvoir avoir des séances, ils demandent des places… ils vont voir de tout, et aiment le cinéma. Et franchement, ça putain, ça c'est beau. C'est là que je vois du romantisme. Moi, je vais voir les célébrités, je vais faire du networking pour mes projets et ma carrière sans succès, je vais voir le film dans le but d'écrire une critique et exprimer une opinion publique sur le sujet. Je m'intéresse à l'industrie du cinéma, au marché, et aux fêtes privées. Mais j'aimerais être moins égocentrique et n'avoir que cette passion romantique autour du festival. Je l'ai dit plus tôt : j'aime le cinéma, et c'est peut-être un problème vis à vis de ma carrière, parce que je le vis de manière romancée. J'aimerais pouvoir faire carrière dans le cinéma comme un scénariste le ferai dans un film de cinéma ; c'est le pire des romantismes. Mais celui d'A. et de son père est d'une beauté à couper le souffle. Ce sont eux qui font le festival à mes yeux, ce sont les étoiles dans les yeux curieux de F., c'est la passion pas encore esseulé de C. malgré le fait qu'elle travaille au festival tous les jours... C'est un moment pour tous pour aimer le cinéma en silence, du matin au soir. Alors si le Festival de Cannes existe dans tous ces paradoxes monstrueux, je donne la palme à son seul existant qui leur échappe : le romantisme de ses cinéphiles. Un groupe dont je l'espère plus que tout, je ferai partie jusqu'à la fin de mes jours.